La fabrication du livre au temps de Beatus Rhenanus (1485-1547)
Colloque international en l'honneur de Pierre Petitmengin - 28-30 mai 2026
Date limite : 01/05/2025
En 1980, dans un article séminal intitulé « A propos du ‘Tertullien' de Beatus Rhenanus (1521) » et sous-titré « Comment on imprimait à Bâle au début du seizième siècle », Pierre Petitmengin s'attachait à « la genèse d'un ouvrage qui a fait date, aussi bien dans l'histoire du livre que dans celle des études classiques », à savoir l'édition princeps de Tertullien, issue des presses de Johannes Froben. Grâce à la confrontation entre l'édition elle-même et le manuscrit qui avait servi d'exemplar pour la préparation de l'impression, ce grand érudit parvenait à reconstituer non seulement le travail philologique mené par Beatus mais aussi le processus de fabrication du livre au sein de l'atelier bâlois. Ce faisant, Beatus Rhenanus mettait en application un large éventail de compétences et de connaissances acquises au gré de sa formation à l'école latine de Sélestat, de son séjour estudiantin à Paris, partagé entre l'université et les ateliers typographiques, de ses expériences à Strasbourg, auprès de l'imprimeur Matthias Schurer, puis à Bâle, d'abord chez Johann Amerbach puis dans l'officine frobénienne, entre autres.
Le parcours de Beatus Rhenanus, dont on connaît bien l'activité de philologue et d'éditeur de textes classiques et patristiques, peut aussi se lire comme celui d'un « artisan de la pensée », au sens où l'entendait François Ritter dans son Histoire de l'imprimerie alsacienne quand il s'attachait à valoriser le travail des imprimeurs. C'est bien l'activité de Beatus Rhenanus comme artisan et concepteur du livre que ce colloque se propose d'explorer.
Un premier axe vise à mieux comprendre le rapport au livre de Beatus Rhenanus.
- On peut d'abord contextualiser ce rapport en relevant les permanences qu'il révèle : dans quelle mesure sa conception du livre est-elle l'héritière de conceptions médiévales ou de réinvestissements modernes – les unes et les autres s'avérant poreux ? Il s'agira d'évaluer quelle idée du livre a pu être portée dans le bassin rhénan, lieu des premiers apprentissages de Beatus Rhenanus, que ce soit par les enseignants de l'école latine de Sélestat, par les humanistes italiens ou par le courant de la Devotio moderna qui met en œuvre un véritable culte du livre.
- Mais Beatus Rhenanus, né quelque trente années après l'invention de l'imprimerie, est aussi un fils de Gutenberg. Il faudra donc réfléchir aux influences qui ont contribué à (re)modeler sa conception du livre, à travers son expérience directe dans les ateliers parisiens, strasbourgeois et bâlois, ou encore dans sa courte fréquentation de Johann Cuno et dans son long partenariat avec Érasme.
- Il s'agira enfin de prendre la mesure de l'appropriation par Beatus Rhenanus de ces héritages, compétences et techniques, en interrogeant la façon dont il les met en œuvre dans les volumes qu'il édite : comment prépare-t-il les copies pour l'impression, sachant que sa bibliothèque est riche en « modèles d'impression » (ou Druckvorlagen comme aimait à le dire Pierre Petitmengin) ? quel est son rôle dans la création des encadrements de page de titre, dans les choix de mise en page ou dans l'élaboration d'aides à la lecture, à la croisée d'une expertise typographique et d'une expertise scientifique ?
- À la lumière des volumes, manuscrits et imprimés, possédés par Beatus Rhenanus et aujourd'hui majoritairement conservés à la Bibliothèque humaniste de Sélestat, d'autres aspects moins directement liés à la production du livre dans l'atelier pourront être explorés, qu'il s'agisse des reliures réalisées pour ou à l'instigation de Beatus Rhenanus, de l'ornementation des manuscrits et des imprimés (qui pourrait, comme les reliures, faire l'objet d'un examen sériel), des annotations portées dans les manuscrits et les imprimés, ou encore des Sammelbände (recueils), qui méritent une étude approfondie.
Selon un deuxième axe, ce colloque entend en outre réinscrire l'activité propre à Beatus Rhenanus et à son entourage dans une perspective plus large, aussi bien dans le temps que dans l'espace, en s'attachant à examiner comment on passe du texte au livre au XVIe siècle, selon la démarche suivie par Jeanne Veyrin-Forrer dans un autre article fondateur, « Fabriquer un livre au XVIe siècle ».
Seront privilégiées les propositions favorisant une comparaison avec les pratiques de Beatus Rhenanus et de son entourage.
- L'approvisionnement et l'utilisation du papier et des caractères typographiques, les façons de les identifier et les usages que l'on peut faire de ces identifications constituent un premier angle d'attaque.
- On pourra aussi entrer dans l'atelier et tenter de rendre compte de pratiques, à la fois communes et sujettes à d'infinies variations à travers l'Europe : la composition (par formes ou non, de l'extérieur vers l'intérieur et inversement…), l'imposition, l'impression, mais aussi les habitudes d'atelier (place et forme des signatures, « tics » inconscients de mise en page…) méritent d'être mieux documentées, en suivant les modèles offerts par les travaux de Richard Sayce, Lotte Hellinga, Jean-François Gilmont ou de l'article déjà cité de Pierre Petitmengin.
- On ne saurait négliger, à côté des manuscrits préparés pour l'impression, les leçons majeures que l'on peut tirer des épreuves lorsqu'elles ont survécu, à l'instar de l'exemplaire d'épreuves des œuvres de Bernard de Clairvaux examiné par Rémi Jimenes, ce qui fait signe vers l'activité des correcteurs d'imprimerie, mise en lumière par les travaux d'Anthony Grafton, mais permet aussi d'interroger, sous l'angle matériel, l'activité de l'éditeur scientifique : comment rend-il accessible le texte qu'il édite, quelles sont les aides à la lecture qu'il procure, où et comment les dispose-t-il (en marge du texte ou ailleurs, en italique ou en romain, dans quel corps typographique) ?
Ces interrogations, qui seront conduites préférentiellement en rapport avec les exemplaires présents dans les collections de la Bibliothèque humaniste de Sélestat, ne sauraient oublier les textes, ni les stratégies d'auteurs dans la réalisation imprimée de leur œuvre, ni les réceptions dont ils font l'objet.
- Comment les auteurs préparent-ils l'exemplar remis à l'atelier, dans quelle mesure interviennent-ils dans la demande de privilège, dans le choix des liminaires, de la mise en page, dans quelle mesure sont-ils ou non présents tout au long du processus d'impression, qu'en disent-ils si l'on dispose de leur témoignage, etc. ?
- Un texte devenu livre étant fait pour être lu, la question des appropriations par les lecteurs et possesseurs pourra aussi être examinée, à travers l'analyse matérielle des reliures et, en particulier, des recueils.
- Enfin, ces éléments peuvent être aussi abordés à la lumière de nos pratiques actuelles : comment édite-t-on aujourd'hui des textes du XVIe siècle ?
Ce colloque entend rendre hommage à Pierre Petitmengin, qui a légué une partie de sa bibliothèque à la ville de Sélestat. Il se tiendra du 28 au 30 mai 2026 à la Bibliothèque humaniste. Plusieurs séances de séminaire seront organisées en amont du colloque, notamment à l'automne 2025, afin de permettre aux futurs intervenants de découvrir les collections de la bibliothèque, qu'ils pourront également consulter dans des conditions privilégiées et en dialogue avec des membres du comité scientifique. Une bibliographie peut être également mise à disposition sur demande auprès de James Hirstein (hirstein[at]unistra.fr).
Les propositions (1000 signes), accompagnées d'une courte présentation bio-bibliographique, sont à adresser conjointement à Martine Furno (martine.furno[at]ens-lyon.fr), à Laurent Naas (laurent.naas[at]ville-selestat.fr) et au secrétariat de l'Enssib (sabah.el_bakkali[at]enssib.fr) avant le 1er mai 2025. Les réponses seront données au plus tard fin juin 2025.
Comité scientifique
Christine Bénévent (ENC / CJM), Jean-Marc Chatelain (BnF), Thierry Claerr (Archives nationales / CJM), Martine Furno (UGA et IHRIM Ens-Lyon), James Hirstein (univ. de Strasbourg, Amis de la BHS), Rémi Jimenes (CESR), Elsa Kammerer (univ. Paris 8), Anne-Hélène Klinger-Dollé (univ. de Toulouse-Jean Jaurès), Laurent Naas (BHS), Malcolm Walsby (Enssib / CGN).
Lieu de la manifestation : Bibliothèque humaniste de Sélestat
Organisation : Christine Bénévent (ENC / CJM), Jean-Marc Chatelain (BnF), Thierry Claerr (Archives nationales / CJM), Martine Furno (UGA et IHRIM Ens-Lyon), James Hirstein (univ. de Strasbourg, Amis de la BHS), Rémi Jimenes (CESR), Elsa Kammerer (univ. Paris 8), Anne-Hélène Klinger-Dollé (univ. de Toulouse-Jean Jaurès), Laurent Naas (BHS), Malcolm Walsby (Enssib / CGN).
Contact : Les propositions (1000 signes), accompagnées d'une courte présentation bio-bibliographique, sont à adresser conjointement à Martine Furno (martine.furno[at]ens-lyon.fr), à Laurent Naas (laurent.naas[at]ville-selestat.fr) et au secrétariat de l'Enssib (sabah.el_bakkali[at]enssib.fr).
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